Rapport Moral 1999

Par M. Maurice Marois
Professeur émérite à la Faculté de Médecine Saint-Antoine
de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI
Vice-Président, chargé du secrétariat général de l’Association des Lauréats du Concours Général

Mon premier devoir est d’assurer à Monsieur Christian Poncelet, Président du Sénat, de notre gratitude pour nous avoir offert l’accès des splendides salons du Palais du Luxembourg. Notre excellent confrère Monsieur Philippe Marini, Sénateur de l’Oise, Maire de Compiègne, Inspecteur des Finances, avait eu l’obligeance de solliciter le Président.

Monsieur Jean Favier, Président de notre Association, aura le privilège de saluer notre invité d’honneur, Monsieur Dominique Perrault.

Je souhaite la bienvenue à nos hôtes (par ordre alphabétique) :

  • Monsieur Philippe Belaval, Conseiller d’Etat, Directeur des Archives de France,
  • Madame Geneviève Zehringer, Présidente de la Société des Agrégés de l’Université.

Vous avez reconnu à la table d’honneur, nos confrères lauréats du Concours Général :

  • Monsieur Maurice Couve de Murville, Ancien Premier Ministre du gouvernement du Général de Gaulle,
  • Monsieur Jean Favier, de l’Institut, Président de l’Association des Lauréats du Concours Général,
  • Monsieur Gabriel Blancher, de l’Académie Nationale de Médecine,
  • Madame Marie-Claire Bancquart, Professeur à la Sorbonne.

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Voici quelques informations sur notre Association :

  • Nous sommes ce soir 156.
  • 168 nouveaux adhérents nous ont rejoints en 1998.
  • Notre réunion amicale du 18 mai 1998 au Lycée Louis-le-Grand a rassemblé 53 participants.

Grâce soit rendue à nos mécènes :

Ici s’achève mon bref rapport moral.

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Me voici une fois encore devant vous et selon un usage devenu tradition je dois vous décrire quelques conquêtes de la science en marche. C’est en biologiste que je m’exprimerai.

Savez-vous de combien de cellules est constitué votre organisme ? Soixante mille milliards. En apprenant ces chiffres un ami m’a dit :  » Quelle chance ! En rentrant chez moi ce soir je me sentirai moins seul.  » Dans chacune de ces milliards de cellules un noyau contenant quarante-six chromosomes eux-mêmes formés d’un total de deux mètres d’acides nucléiques. Multipliez ces deux mètres par 60.000 milliards et vous obtenez pour un seul corps humain 120 milliards de km. Ainsi chacun de vous est habité par 120 milliards de km d’acides nucléiques. Et ces quarante-six chromosomes, nombre caractéristique de notre espèce, contiennent ensemble cent mille gènes. Chacune de nos cellules porte dans ses gènes toute l’information c’est-à-dire toute la recette pour faire un homme ou une femme. Cette information est différente d’un individu à un autre. Il s’agit bien de la plus authentique, de la plus irrécusable carte d’identité. Certains l’ont appelée la carte d’identité génétique.

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Quelques-uns des mystères les plus intimes de la vie sont blottis dans des sortes de sanctuaires : les noyaux. Mystères inviolables, dérobés au regard depuis l’apparition il y a cent mille ans d’Homo sapiens sapiens. Fallait-il qu’après cent mille ans les gènes cèdent aux entreprises de la science ? Ils ont cédé et nous pouvons désormais les explorer, les manipuler, les échanger. Somptueuse victoire !

Le gène est un élément commun aux êtres unicellulaires, aux végétaux, aux animaux et à l’homme ; le gène est partout. Avec des moyens simples, il rend possible la diversité de ses membres. Qu’il s’agisse de l’histoire de la vie, de son évolution, de la profusion de ses formes, du développement embryonnaire, des anomalies congénitales physiques et mentales, de l’apparition des cancers, du vieillissement, le gène commande, organise, contrôle.

La génétique connaît aujourd’hui une accélération de son histoire. Et des chapitres inédits s’écrivent sous nos yeux. Au cours de précédents dîners j’avais évoqué devant vous le séquençage et le décryptage du génome humain. J’avais aussi évoqué les performances des animaux transgéniques, ainsi nommés parce que l’on a introduit dans leur propre patrimoine génétique des gènes d’autres espèces – par exemple de l’espèce humaine. Observons le cas de la vache transgénique. En fonction de nouveaux gènes dont on l’a mâtinée, son lait peut être une source d’hémoglobine humaine, d’interféron, de facteur VIII qui traite l’hémophilie et de bien d’autres produits. On peut les traire aux pis de la vache. Le porc dit  » humanisé « , ainsi nommé parce que des gènes humains ont enrichi son génome, pourrait fournir des organes de rechange susceptibles d’être transplantés chez l’homme avec des risques réduits. La transgenèse abolit la barrière entre règne animal et règne végétal : incluez un gène animal dans par exemple un plant de tabac, il fabriquera, à sa surprise, de l’hémoglobine, de l’hormone de croissance, de l’insuline, que sais-je encore. Qu’une plante fabrique de l’hémoglobine humaine voilà qui prouve l’unité du règne vivant.

Je pourrais parler des promesses de la thérapie génique qui s’attaque à diverses affections telles que la mucoviscidose, un cancer du cerveau : le glioblastome, les cancers du sein et de la prostate, le SIDA, les maladies cardio-vasculaires. Cette thérapie génique en est à ses débuts. Nous en reparlerons dans quinze ans.

Voici un dernier exemple puisé dans un autre domaine. L’analyse d’une partie du génome des grands singes et de l’homme jette un jour nouveau sur nos liens de parenté. Dans l’état actuel de nos connaissances, la différence génétique entre les chimpanzés et les êtres humains serait de 1 %. Et si cette affirmation était vérifiée, je pourrais vous faire cette révélation que certains trouveront désobligeante : nous serions chimpanzés à 99 %.

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C’est sur la biologie du développement que je mettrai l’accent ce soir.

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Vous souvient-il du premier moment de votre conception ? Le spermatozoïde et l’ovule se sont mariés. De leurs épousailles résulte une cellule complète : l’oeuf. Au commencement était l’oeuf. Cette cellule est totipotente c’est-à-dire qu’elle détient la totalité du programme génétique. Celui-ci en s’actualisant va faire de chacun de vous le chef d’oeuvre unique, donc irremplaçable, que vous êtes et que peut-être je suis aussi, qui sait ?

Serait-il accessible le rêve millénaire d’obtenir à plusieurs exemplaires ce chef d’oeuvre ? Vous allez voir par quel chemin ce rêve est devenu réalité.

Chaque cellule isolée d’un tout jeune embryon peut donner naissance à un être achevé à l’exemple des jumeaux vrais c’est-à-dire qu’elle est totipotente. Elle se comporte comme un oeuf.

Au cours du développement embryonnaire et foetal, les cellules cérébrales, musculaires, sanguines, etc. se sont différenciées. Mais chemin faisant elles ont perdu leur totipotence, c’est-à-dire qu’elles sont désormais limitées à leur fonction par exemple musculaire sans pouvoir s’en évader : muscle tu es, muscle tu resteras ! Ce problème du caractère apparemment irréversible de la spécialisation ou différenciation a longtemps intrigué les chercheurs.

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Pour explorer cette énigme deux savants américains, Briggs et King ont réalisé, en 1952, l’expérience suivante : armés de fines aiguilles de verre et de micropipettes ils ont pu prélever le noyau d’une cellule d’un embryon de grenouille à un stade précoce du développement. Ils ont inséré ce noyau dans un ovule énucléé d’une autre grenouille. L’oeuf ainsi reconstitué se comporta comme un oeuf normal. Il aboutit par divisions successives à la formation d’un têtard puis d’une grenouille achevée. Le noyau importé provenant d’un embryon était donc totipotent.

En revanche lorsque les auteurs implantèrent un noyau d’une cellule non plus embryonnaire mais différenciée provenant d’une grenouille adulte le résultat fut négatif. La différenciation avait effacé la totipotence.

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Cette conclusion ne peut pas être généralisée. En effet, des travaux analogues réalisés chez un batracien d’une autre espèce, le crapaud, ont montré que le noyau d’une cellule spécialisée d’un adulte n’a pas perdu sa totipotence à la différence de la grenouille. Ainsi vous pouvez cloner un crapaud si le coeur vous en dit.

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Quittons les batraciens pour rejoindre les mammifères.

Depuis 1980 l’expérience de clonage a été étendue avec succès aux mammifères chez la souris, la lapine, la brebis et la vache en transférant des noyaux provenant de cellules embryonnaires. Il restait à implanter le noyau d’une cellule différenciée prélevée chez un mammifère adulte. L’événement stupéfiant s’est produit en 1997 avec la naissance réussie de la célèbre brebis Dolly.

Le 27 février 1997, la revue britannique Nature rapportait les travaux de cinq savants écossais. Ils avaient introduit le noyau d’une cellule épithéliale mammaire bien différenciée d’une brebis adulte et non plus d’une cellule d’embryon, dans un ovule énucléé d’une autre brebis. L’ovule fut confié à une mère porteuse. La brebis Dolly naquit, exacte copie génétique de celle qui avait fourni le noyau.

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Pour la première fois il fut donc possible de cloner un mammifère adulte à partir d’une cellule différenciée de son corps, telle était la nouveauté. L’expérience a été confirmée en 1998, au Japon : huit veaux sont nés à partir de cellules prélevées sur une vache adulte. La voie était ouverte au clonage humain.

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Les problèmes surgissent lors du passage de la science pure à la science appliquée. Je vous ai parlé au début de ce discours de la création d’animaux transgéniques. Ce processus est laborieux. Mais ces animaux transgéniques une fois créés, leur clonage permettrait de les multiplier sans mettre en oeuvre chaque fois la lourde procédure transgénique. De plus, les animaux clonés pourraient se reproduire. Ainsi l’on peut conjuguer la transgenèse et le clonage.

Les conséquences de la prouesse scientifique et technique écossaise sont incalculables.

Assistera-t-on à une production de masse de jumeaux clonés ? Les dangers de réduction de l’indispensable biodiversité seraient alors les mêmes que ceux de la monoculture chez les végétaux : la variété privilégiée occuperait tout le terrain et condamnerait à la déshérence les autres variétés dès lors menacées d’extinction. Si une épidémie venait à faire disparaître les clones, la nature pour réparer les dommages devrait puiser dans des ressources appauvries.

Il est temps de conclure.

 » Le clonage consiste à produire plusieurs organismes à partir d’un seul. Il s’oppose à la reproduction sexuée qui implique la mise en oeuvre de deux organismes distincts « , écrit Jean-Paul Renard. Jusqu’ici il fait se mettre à deux pour faire un enfant. L’irruption du clonage menacerait-elle la reproduction sexuée ? Celle-ci n’aurait-elle pas d’avenir ? Je gage que les humains n’y renonceront pas et c’est tant mieux. Car la sexualité a entre autres finalités une finalité bénéfique : par le brassage des gènes, elle protège la perpétuation de l’espèce face aux périls qui depuis toujours menacent la vie.

Voici une autre remarque, inspirée de Jean-Paul Renard :  » Produire du lait dont la composition emprunte les qualités d’autres espèces, c’est-à-dire par exemple faire sécréter du lait proche du lait de femme par une vache, augmenter le pouvoir de résistance à des microbes ou autres agents infectieux, rendre compatibles les tissus animaux et humains pour des thérapies cellulaires ou des greffes d’organes : autant de projets actuellement en chantier dans le monde. Voilà donc les démiurges à l’oeuvre, prêts à bouleverser les patientes constructions de l’évolution. Voilà les apprentis-sorciers de la science estompant déjà les limites entre l’animal et l’homme.  » J’ai choisi à dessein ces citations car les fortes expressions de démiurges et d’apprentis-sorciers sont des mises en alerte. Elles sonnent le tocsin.

J’avais écrit il y a plusieurs mois dans un livre dont je suis l’auteur  » Réflexions sur la destinée humaine  » :  » Quant au clonage humain, un fort mouvement d’opinion aboutira à son interdiction. Celle-ci sera-t-elle universelle ? Combien de temps sera-t-elle respecté ? Le Prix Nobel James Watson – découvreur avec Crick et Wilkins de la double hélice de l’ADN – ne se nourrit pas d’illusions. Pour lui le clonage humain est inévitable.  » J’espérais, écrit-il, que cela ne serait jamais possible mais je ne vois pas comment on peut l’arrêter. « 

James Watson ne s’était pas trompé.

Une équipe sud-coréenne a transféré dans un ovocyte humain énucléé un noyau d’une cellule prélevée chez une femme adulte. Mais les Coréens ont arrêté l’expérience au stade de quatre cellules. La perspective du clonage humain apparaît bien comme une réalité si du moins les travaux des Coréens sont confirmés.

Voici l’ultime péripétie : en décembre 1998 les Nations Unies ont adopté une déclaration sur le génome humain et les droits de l’homme, interdisant l’extension du clonage à notre espèce. Cette déclaration sera-t-elle entendue ? Il ne le semble pas puisque les savants écossais qui ont fait naître Dolly ont proclamé, il y a quelques jours, leur intention de cloner des humains. Enfin les autorités publiques américaines ont décidé de subventionner de tels travaux.

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Les pouvoirs de l’homme ne cessent de grandir. Le physicien théoricien danois Niels Bohr, Prix Nobel, mesurant les dangers de certaines applications de la physique atomique s’est écrié :  » Je suis un homme qui a peur.  » Devant les fabuleuses découvertes de la génétique moléculaire le biologiste est saisi du même effroi. Mais la peur n’est pas une attitude constructive.

Les risques et les chances donnent une actualité nouvelle à la création que nous avons proposée d’un  » Centre Mondial de l’Institut de la Vie sur la Destinée Humaine « . Cathédrale de l’esprit, ce Centre pourrait nourrir nos réflexions dans notre quête du sens. Il pourrait aussi contribuer à éclairer les décisions stratégiques de l’humanité et donner une voix à la volonté de vivre et à l’espérance.


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