Rapport Moral 1998

Par M. Maurice Marois
Professeur émérite à la Faculté de Médecine Saint-Antoine
de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI
Vice-Président, chargé du secrétariat général de l’Association des lauréats du Concours général

Mesdames, Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre, Monsieur le Président,
Mes Chers Confrères, Messieurs,

Il m’appartient d’exprimer à Monsieur René Monory, Président du Sénat, notre gratitude pour nous avoir offert l’accès des splendides salons du Palais du Luxembourg.

Monsieur le Président du Sénat avait été sollicité par Monsieur le Ministre Maurice Schumann, de l’Académie française, notre illustre confrère.

Monsieur Jean Favier, Président de notre Association, aura le privilège que je lui envie de saluer notre invité d’honneur, Monsieur Jean Tulard, de l’Académie des Sciences morales et politiques.

Je souhaite la bienvenue à nos hôtes :

  • Madame Geneviève Zehringer, Présidente de la Société des Agrégés de l’Université,
  • Mademoiselle Michelle Gagne, du Service Général de la Société Nationale des Chemins de Fer Français, Chef de la Division des facilités de circulation aux tiers et des voyages,
  • Monsieur Jean-Jacques Israël, représentant Madame Dominique de la Garanderie, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats à la Cour de Paris,
  • Monsieur Joël Vallat, Proviseur du Lycée Louis-le-Grand.

Vous avez aussi reconnu à la table d’honneur, nos confrères lauréats du Concours général. Je les cite :

  • Monsieur Jean Favier, de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, notre président,
  • Monsieur Gabriel Blancher, de l’Académie Nationale de Médecine.

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J’ai le devoir de vous rendre compte de nos activités au cours de l’année 1997 :

  • Nous sommes ce soir 152.
  • 173 nouveaux adhérents nous ont rejoints en 1997.
  • Notre réunion amicale du lundi 27 mai 1997 tenue au Lycée Louis-le-Grand a rassemblé 69 de nos confrères.
  • Nous avons publié notre Bulletin n° 49-50 qui couvre les années 1996-1997. Il a été distribué auprès de l’ensemble de nos membres.

Grâce soit rendue à nos mécènes :

Ici s’achève mon bref rapport moral.

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Selon un usage établi depuis plusieurs décennies, le rapport moral est suivi d’un impromptu. Je m’y soumets bien volontiers. Je le consacre ce soir aux odeurs et parfums.

Lorsqu’un parfumeur parisien appela « Suivez-moi Monsieur » un nouveau parfum féminin, il ne se doutait pas qu’il allait être confirmé par les découvertes de la biologie contemporaine.

Car odeurs et parfums accompagnent notre vie depuis le sein maternel jusqu’à l’encens qui suivra notre dernier souffle. Odeurs et parfums sont portés par des molécules qui sous-tendent un phénomène essentiel à nos vies : la communication chimique.

Tous les êtres vivants des plus simples aux plus complexes, des unicellulaires aux multicellulaires, sont sensibles. Ils reçoivent des informations du monde extérieur dans lequel ils sont plongés, et des signaux de leur propre organisme. « Parmi les modalités sensorielles (visuelles, auditives et autres) la perception des qualités chimiques du milieu environnant ou chimioréception, relèverait d’une sorte de sensibilité primordiale manifestée dès l’aube de la vie. » Ainsi s’exprime Charles Noirot.

Le panorama est vaste. Depuis la bactérie apparue il y a plusieurs milliards d’années jusqu’à l’homme, de la molécule à la société, les facettes de ce phénomène biologique sont multiples.

Pionnier, Jean-Henri Fabre a observé la séduction qu’exerçaient sur les mâles les femelles du papillon appelé « grand paon de nuit ». Il a décrit ses expériences dans ses célèbres « Souvenirs entomologiques  » parus en 1879. Plus tard, le Prix Nobel Butenandt choisit les femelles d’une autre espèce le ver à soie Bombyx mori, grandes séductrices de leurs partenaires mâles. Il lui a fallu utiliser 500.000 femelles pour extraire en 1959 un alcool le bombykol, principal actif doué de ce pouvoir captieux. La première phéromone sexuelle était découverte. Cette substance agit à 4,6 kilomètres de distance sur les dizaines de milliers de cellules hérissant les antennes en forme de peigne du Bombyx mâle, les cellules chimioréceptrices. Selon la définition de Budenandt, les phéromones sont des « substances qui, émises par un individu déclenchent chez un congénère une modification de son comportement ou de sa physiologie ».

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Tels sont les débuts d’une histoire qui a connu une extraordinaire accélération grâce aux progrès de la technique. Le microscope électronique nous a révélé la structure des antennes. L’électroantennographe peut explorer une seule cellule sensorielle de ces antennes ; la taille de cette cellule est de quelques millièmes de millimètre. La chromatographie gazeuse, si elle avait existé à l’époque de Butenandt, lui aurait permis d’effectuer ses travaux en un temps réduit avec mille fois moins d’insectes. Le spectromètre de masse et l’analyse par résonance magnétique nucléaire réalisent de fabuleuses prouesses. Enfin la génétique moléculaire identifie les gènes qui commandent la formation des enzymes assurant la synthèse des phéromones. Ainsi toute la chaîne de fabrication de ces phéromones s’illumine devant nos yeux depuis le gène jusqu’au produit achevé.

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Chez les insectes le champ des phéromones est vaste. On distingue aujourd’hui :

  • les phéromones sexuelles qui lancent l’appel des sexes,
  • les phéromones grégaires qui maintiennent la cohésion du groupe,
  • les phéromones de piste qui déposent une trace sur le chemin parcouru au cours d’un déplacement (comme le Petit Poucet),
  • les phéromones d’alarme qui signalent un danger pour prévenir les congénères,
  • les phéromones d’espacement enfin : celles-ci dissuadent les membres d’une même espèce qui tentent de s’aventurer sur le territoire de l’un d’entre eux.

Quittons les insectes pour une incursion dans le royaume des vertébrés. Les vertébrés marins offrent un véritable spectacle. Chez les annélides polychètes comme les nereis  » la ponte des ovules s’accompagne de la libération de substances qui attirent les mâles et les spermatozoïdes. A Roscoff ce phéromone est observable de juin à septembre, au premier et au dernier quartier de lune. Vers dix heures du soir apparaissent des dizaines de milliers de mâles, puis les femelles accourent. Chacune est très vite entourée de dizaines de mâles ; ils tournent frénétiquement autour d’elles. Pendant cette danse nuptiale collective, elles expulsent leurs oeufs à grandes giclées tandis que les mâles émettent leur semence tous ensemble. La danse s’arrête vers minuit et il faut attendre que la lune redevienne favorable, pour qu’elle reprenne. Le rythme lunaire est strictement respecté « …  »  Chez ces animaux, les phéromones ont une triple fonction : rassemblement des individus, synchronisation de l’émission puis attraction des gamètes . » Cette description est empruntée au biologiste Rémy Brossut.

Les mammifères à leur tour offrent un spectacle d’une grande diversité. Et je vais faire comparaître devant vous le dromadaire, l’éléphant, le chat, les spermatozoïdes du chien, l’homme enfin. Considérons le dromadaire. Dans la région de l’occiput, deux glandes de 120 grammes sécrètent au moment du rut un liquide pour marquer les territoires, interdisant ainsi aux autres mâles l’approche des femelles. Phénomène heureux : c’est le même liquide qui provoque comme par hasard l’ovulation chez ces femelles qui ne tardent pas à être fécondées.

Portons notre regard sur l’éléphant mâle amoureux : deux glandes temporelles d’un kilo cinq cents chacune, situées entre l’oeil et l’oreille, assurent de même le marquage du territoire.

Un phénomène semblable est observé chez le chat.

Et voici une révélation : chez le chien, la membrane limitant chacun des spermatozoïdes détecte des phéromones qui les guident vers l’ovule. Les spermatozoïdes sont ainsi pilotés vers leur cible.

Les humains ne sont pas en reste. Les paupières, la poitrine, les aréoles, les aisselles, les régions anogénitales, les petites lèvres sont riches en glandes sébacées sécrétrices de phéromones. Celles situées dans les lèvres buccales interviendraient dans le baiser. Les aisselles masculines émettent des acides gras libres odorants dont plusieurs sont curieusement de même nature que ceux des sécrétions vaginales.

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Il me reste encore à vous livrer quelques informations parmi d’autres. En 1991, un diverticule d’un millimètre de diamètre et d’un centimètre de long situé sous la muqueuse respiratoire d’une cloison nasale est découvert chez l’homme. C’est l’organe voméronasal déjà observé chez de nombreux mammifères. Il est spécialisé dans la perception des phéromones alors que la muqueuse olfactive ne les percevrait pas.

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L’étude de ces messagers chimiques peut avoir des applications pratiques par exemple dans la guerre biologique contre les insectes dits nuisibles, les phéromones femelles synthétisées servant de leurres pour attirer les mâles. Piégés, ils sont alors détruits.

Dernier exemple : les lapins. En 1859 un colon anglais importe d’Europe en Australie dix-huit lapins de garenne. Ils sont deux cents millions en 1950. Les recherches sur les glandes odorantes de ces lapins ont été précieuses pour agir contre cette prolifération ravageuse.

Le temps me manque pour vous décrire les travaux passionnants sur les relations plantes-insectes en particulier pour la pollinisation des plantes. Les insectes sont trompés par la supercherie des fleurs qui les attirent en diffusant des sosies des phéromones. Le contact de ces fleurs les revêt de pollen qu’ils vont transporter vers les fleurs femelles. Il faudrait évoquer les armes chimiques défensives telles que les venins, les acides sulfurique, chlorhydrique, cyanhydrique, acétique. Il faudrait encore exposer les résultats concernant le complexe majeur d’histo-compatibilité (système HLA), la reconnaissance de l’autre chez les insectes, les poissons, d’après leur signature chimique, la reconnaissance des odeurs corporelles dans les relations mère-enfant, la synchronisation des cycles menstruels féminins, les conséquences physiologiques chez les animaux de la surpopulation qui entraînent la baisse de la fécondité.

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Mais il est temps de conclure. Ces phéromones écrivent de prodigieuses pages d’histoire naturelle. Elles se manifestent sous des formes diverses dans l’ensemble des êtres vivants. Elles existent depuis l’apparition sur notre globe des premières bactéries il y a plusieurs milliards d’années, je vous l’ai dit. Universelles, elles sont considérées comme des caractères de la vie.

Elles jouent un rôle important lorsqu’elles sont émises pour éloigner les agresseurs ou les éliminer : car chacun veut persévérer dans l’être. Elles expliquent certains aspects du comportement et de la vie sociale. Elles démystifient dans certains cas la notion d’instinct.

Elles sont les instruments du désir amoureux qui attire deux êtres l’un vers l’autre ; l’une des conséquences, vous le savez, est la perpétuation de l’espèce.

Cette dernière remarque fait naître en moi une crainte : je ne voudrais pas que ma description vous laisse le sentiment qu’elle récapitule le mystère de l’amour. L’alchimie de l’amour n’a pas de formule chimique.


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